Texte Liliane Giraudon: « Cerf, Cerf Ouvre-Moi… » 2020

Puisqu’ici c’est Marseille, autant y aller carrément.

C’est ce que je me disais au retour d’une visite d’atelier (son atelier) rue Benoit Malon. Et j’ai rouvert Les Cahiers d’Artaud sortis le matin de ce même jour et laissé sur la table de la cuisine. J’avais tenté d’y retrouver le passage où Artaud parle du « père bifteck » peut-être parce que Cerf est pour Dominique Cerf le nom du père  et qu’avec les filles l’Animal n’est pas loin, ni la Chasse, ni l’Angulation sexuelle.

Ouvert au hasard, le grand cinglé brame :

ainsi donc

                 la question

toute la grande question

                 quelle

                           est-elle ?

et qu’est-ce que nous foutons là

que foutons nous à vivre

et pourquoi vivons-nous ?

Et oui pourquoi la dysenterie, la suffocation, le souffle court, le souffle long ou pas de souffle du tout et on est mort, mais mort c’est quoi, habiter où, parmi les vivants ou les morts, les invisibles ou les carnassiers, la barbaque est partout et bien souvent c’est la chair animale, fardeau d’un immense souvenir de peines et de suffocations, retour perpétuel de la matière cervicale jusqu’au creux du sexe, il y va du fardeau comme de sa mémoire, femmes et animals ici oui on doit distordre les accords comme l’ordre grammatical, s’interroger à minima sur cette place accordée aux femmes (dans l’art par exemple) comme dans nos assiettes aux animaux.

Bramer c’est beau, il y a des forêts pour ça mais que faire d’un tas de bois ? 

Tas de bois sur la tête , on m’avait dit qu’elle habitait une vaste cabane. Les colonnes c’est en bas. Plus bas. Il y a en a un peu partout. Quelque part vers l’Estaque. Chez un garçon dont elle me parle. Offertes aux vents et à la pluie.

Le brameur revient, il dit c’est le sexe que je veux enlever avec l’anus des bœufs car la question est de se délivrer des bêtes qui vous anéantissent, vissé vers un certain trou au fond duquel ne dort rien, ni ce qui s’appelle l’art, ni les livres, surtout pas les livres et encore moins ce qu’on leur doit.

Cerf un temps s’effaça des terrains d’une chasse ordinaire pour commencer à écrire.

Béquillant dans le matin, à la rencontre de quels bestiaux s’efforce-t-elle d’avancer ?

Les dessins ils sont vraiment noirs. Un noir entre cerise et cerfeuil, comme le cervidé.

Quel est ce décor posé là, entre Cinecittà, compost et suffocation ? Ici le théâtre est un leurre comme la composition. On n’installe pas, on ne divertit pas, on ne caresse rien dans le sens du poil.

Sans doute s’agit-il d’un retour perpétuel. Une économie pariétale. Avec stases d’endormissement hivernal. Comme le faux printemps ou les maladies de peau.

Le modelé autobiographique ? Agencements, choix formels ou matériologiques, la coulée du béton fout en l’air toute tentative d’explication.

Le miroir ? Fin du stade, lumière, on coupe !

Allez donc vous mettre ses thermomètres dans le cul et attendez, vous obtiendrez la température.

Le ciment dissimule, comme le langage. Chacun de vos gestes. L’intérieur de votre bouche.

Outre-monde, Petit-monde ou Bas-monde. A votre choix.

Et n’allez pas nous faire le coup de l’identité sexuelle. Côté condiments, le cuissot se sert avec de la confiture d’airelles.

Arrêtez aussi avec cette nouille d’Actéon.

Levez plutôt vos verres.

Elle travaille sans casque. Un de ses amis l’a écrit. Jusqu’à 300 kilos.

Du mouvement dans la détresse. Et du vent. Parce qu’il faut que ça circule. Qu’elle voyage. Même quand elle ne bouge pas. Qu’elle se tanque.

La chambre du cerf est un film qui finit par tourner seul. Dans son dos.

Chacun sait que dans ce foutu cinématographe c’est le parlant qui a introduit les choses muettes.

Qu’on ne s’y trompe pas, on est bien dans l’univers des fantômes.

« Ouvre-moi » dit la voix.

Porte ou ventre, peu importe.

C’est encore pour quelques temps le rôle de l’art non ?

                                                              Liliane giraudon juin 2020

                                                 

   

Texte Frédérique Guétat-Liviani 2015.

Dominique reste debout.

Perpendiculaire au ciel.

Jamais sa prière ne s’agenouille.

Elle cite Ingeborg Bachmann:

«Dans l’Art, on ne progresse pas à l’horizontale»

Lorsqu’elle parle de ses sculptures elle dit « mes pièces ».

Car chacune est un détail de l’oeuvre une parcelle irremplaçable.

Elle sculpte et se soustrait fabrique et réalise.

Parfois comme Louise elle répare et recoud les éventrés.

Quand elle élève des colonnes c’est pour en faire des totems.

Pas besoin d’intercesseur pour parler à l’aïeule.

Les esprits dînent avec elle son œuvre est peuplée de fantômes.

Nul besoin de chaman new-age car chez elle tout est offrande.

Ses bois sont des branches.

Elles accueillent ceux qui tombent.

Son arbre parfois est généalogique voire familial.

D’une famille sororale et universelle.

Sans travail et sans patrie.

Un abri au sein de l’obscure forêt.

Dans sa galerie de portraits il n’y a pas deux cerfs identiques.

Chacun est unique parfaitement autre.

Jean de la Croix l’apostrophe :

« Où t’es-tu caché

Aimé me laissant en gémissement

Comme le cerf tu as fui »

Elle répond :

« Toi mon amant Epileptique, mon Actéon,

mon Amour, ma Charogne.

Tu ressurgiras à la fois Héros et Victime.

Ce nom que tu portes,te fera t’il aussi

Deux fois plus héros et victime ?

Hanté et entêté de cerf.

Cours-tu à ta propre perte ? »

Frédérique Guétat-Liviani.2015. Continuer la lecture de « Texte Frédérique Guétat-Liviani 2015. »